Qu’est-ce que la décarbonation des procédés ?

La décarbonation des procédés industriels est devenue un enjeu majeur dans la lutte contre le changement climatique. Face à l'urgence environnementale, les entreprises et les gouvernements multiplient les efforts pour réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre liées aux activités industrielles. Cette transformation profonde des modes de production vise à concilier croissance économique et préservation de l'environnement. Mais quelles sont les technologies et stratégies clés pour atteindre cet objectif ambitieux ? Comment les différents secteurs industriels s'adaptent-ils à ce défi ? Quels sont les obstacles à surmonter et les opportunités à saisir dans cette transition vers une industrie bas carbone ?

Principes fondamentaux de la décarbonation industrielle

La décarbonation industrielle repose sur plusieurs principes fondamentaux visant à réduire l'empreinte carbone des activités de production. L'efficacité énergétique est au cœur de cette démarche, avec l'optimisation des procédés pour consommer moins d'énergie. La substitution des énergies fossiles par des sources d'énergie bas carbone comme l'électricité renouvelable ou l'hydrogène vert est également cruciale. L'économie circulaire et le recyclage permettent par ailleurs de limiter l'utilisation de matières premières vierges émettrices de CO2.

Un autre axe majeur est l'innovation technologique pour développer des procédés de production intrinsèquement moins émetteurs. Cela passe notamment par la conception de nouveaux catalyseurs, l'électrification des fours industriels ou encore l'utilisation de biomasse comme matière première. La capture et le stockage du carbone viennent compléter ces approches pour les émissions résiduelles difficilement évitables.

Enfin, l'analyse du cycle de vie des produits permet d'identifier les points chauds en termes d'émissions et d'agir sur l'ensemble de la chaîne de valeur. Cette approche systémique est essentielle pour atteindre une décarbonation profonde de l'industrie.

La décarbonation industrielle nécessite une transformation en profondeur des modes de production, alliant efficacité énergétique, énergies bas carbone et innovations de rupture.

Technologies clés pour la réduction des émissions de CO2

Plusieurs technologies de pointe sont au cœur de la stratégie de décarbonation de l'industrie. Leur déploiement à grande échelle sera déterminant pour atteindre les objectifs climatiques ambitieux que se sont fixés de nombreux pays et entreprises. Examinons plus en détail certaines de ces technologies clés.

Captage et stockage du carbone (CSC)

Le captage et stockage du carbone (CSC) est une technologie prometteuse pour réduire les émissions de CO2 des industries fortement émettrices. Elle consiste à capter le dioxyde de carbone émis par les procédés industriels avant qu'il ne soit rejeté dans l'atmosphère, puis à le comprimer et le transporter vers un site de stockage géologique. Le CO2 est alors injecté dans des formations rocheuses profondes où il peut être piégé de manière permanente. Les techniques de captage post-combustion, pré-combustion et oxy-combustion permettent de capter jusqu'à 90% des émissions de CO2. Le stockage peut se faire dans d'anciens gisements de pétrole ou de gaz, des aquifères salins profonds ou des veines de charbon inexploitables. Le CSC est particulièrement pertinent pour des industries comme la sidérurgie ou la cimenterie, où une part importante des émissions est liée aux procédés eux-mêmes et pas uniquement à la combustion d'énergies fossiles.

Électrification des procédés thermiques

L'électrification des procédés thermiques industriels est un levier majeur de décarbonation, à condition que l'électricité utilisée soit bas carbone. Elle consiste à remplacer les combustibles fossiles par de l'électricité pour produire la chaleur nécessaire aux procédés industriels. Cette approche permet de réduire drastiquement les émissions directes sur les sites industriels.

Différentes technologies d'électrification sont disponibles selon les niveaux de température requis :

  • Les pompes à chaleur industrielles pour la chaleur basse température (jusqu'à 150°C)
  • Le chauffage par induction ou résistance électrique pour les moyennes températures
  • Les fours à arc électrique pour les hautes températures (> 1000°C)

L'électrification permet également d'améliorer l'efficacité énergétique des procédés, les technologies électriques ayant souvent de meilleurs rendements que leurs équivalents thermiques. Cependant, elle nécessite des investissements importants et une adaptation des process industriels.

Utilisation de l'hydrogène vert

L'hydrogène vert, produit par électrolyse de l'eau à partir d'électricité renouvelable, est appelé à jouer un rôle croissant dans la décarbonation de l'industrie. Il peut être utilisé comme combustible propre pour produire de la chaleur à haute température, ou comme réactif dans certains procédés chimiques en remplacement d'hydrogène d'origine fossile. Dans la sidérurgie par exemple, l'hydrogène vert peut se substituer au charbon pour réduire le minerai de fer, permettant une production d'acier quasiment sans émissions de CO2. Dans l'industrie chimique, il peut servir de matière première pour la production d'ammoniac ou de méthanol bas carbone. Le déploiement à grande échelle de l'hydrogène vert nécessite cependant encore des baisses de coûts significatives et le développement d'infrastructures de production, transport et stockage adaptées.

Biomasse et biocarburants avancés

L'utilisation de biomasse et de biocarburants avancés offre une alternative bas carbone aux combustibles fossiles dans de nombreux procédés industriels. La biomasse peut être utilisée directement comme combustible dans des chaudières industrielles, ou transformée en biocarburants liquides ou gazeux. Les biocarburants de 2ème et 3ème génération, issus de résidus agricoles ou forestiers, d'algues ou de déchets, présentent l'avantage de ne pas entrer en compétition avec les cultures alimentaires. Leur bilan carbone est généralement bien meilleur que celui des carburants fossiles, même si une analyse complète du cycle de vie est nécessaire pour s'en assurer. La gazéification de la biomasse permet par exemple de produire du syngas, un gaz de synthèse pouvant se substituer au gaz naturel dans de nombreuses applications industrielles. Les bioraffineries intégrées permettent quant à elles de valoriser l'ensemble des composants de la biomasse pour produire une gamme de produits chimiques biosourcés.

Secteurs industriels prioritaires pour la décarbonation

Certains secteurs industriels sont particulièrement ciblés par les efforts de décarbonation en raison de leur forte intensité carbone. Trois secteurs en particulier concentrent une part importante des émissions industrielles et font l'objet d'initiatives ambitieuses de transformation.

Sidérurgie et procédé de réduction directe du fer

La sidérurgie est l'un des secteurs industriels les plus émetteurs de CO2, principalement en raison de l'utilisation massive de charbon dans le procédé traditionnel des hauts-fourneaux. La décarbonation de ce secteur passe par le développement de nouvelles filières de production d'acier bas carbone.

Le procédé de réduction directe du fer (DRI) utilisant de l'hydrogène vert comme agent réducteur est particulièrement prometteur. Il permet de s'affranchir du charbon et de produire du fer réduit qui peut ensuite être transformé en acier dans des fours électriques. Plusieurs sidérurgistes européens comme ArcelorMittal ou SSAB ont lancé des projets pilotes basés sur cette technologie.

D'autres pistes sont également explorées comme l'électrolyse du minerai de fer ou l'utilisation de biomasse en remplacement partiel du charbon. La capture et le stockage du carbone sur les hauts-fourneaux existants est également envisagée comme solution transitoire.

Cimenteries et clinker bas carbone

L'industrie cimentière est responsable d'environ 8% des émissions mondiales de CO2. La décarbonation de ce secteur est complexe car une part importante des émissions provient de la décarbonatation du calcaire lors de la production du clinker, principal composant du ciment.

Plusieurs approches complémentaires sont mises en œuvre pour réduire l'empreinte carbone du ciment :

  • Développement de ciments bas carbone avec une teneur réduite en clinker
  • Utilisation accrue de combustibles alternatifs comme la biomasse ou les déchets
  • Amélioration de l'efficacité énergétique des fours
  • Capture et stockage du CO2 sur les cimenteries

Des recherches sont également menées sur des liants alternatifs comme les ciments géopolymères ou les ciments d'oxychlorure de magnésium, qui pourraient permettre de s'affranchir totalement du clinker à terme.

Industrie chimique et vapocraquage électrique

L'industrie chimique est un autre secteur clé pour la décarbonation industrielle. Le vapocraquage, procédé central pour la production de nombreux produits chimiques de base, est particulièrement énergivore et émetteur de CO2.

Le développement du vapocraquage électrique, utilisant de l'électricité bas carbone plutôt que des combustibles fossiles pour chauffer les fours, est une piste prometteuse. Des projets pilotes sont en cours chez plusieurs grands chimistes comme BASF ou Dow Chemical.

L'utilisation de matières premières biosourcées ou recyclées en remplacement des hydrocarbures fossiles est une autre voie explorée. La capture et l'utilisation du CO2 comme matière première pour certains procédés chimiques (production de méthanol par exemple) offre également des perspectives intéressantes.

La décarbonation des secteurs industriels lourds nécessite des innovations de rupture et des investissements massifs, mais ouvre aussi la voie à de nouveaux modèles économiques plus durables.

Réglementations et incitations à la décarbonation

Les pouvoirs publics jouent un rôle crucial pour accélérer la décarbonation de l'industrie, à travers la mise en place de réglementations contraignantes et d'incitations financières. Plusieurs mécanismes clés ont été déployés, notamment au niveau européen.

Système d'échange de quotas d'émission de l'UE (EU ETS)

Le système d'échange de quotas d'émission de l'Union européenne (EU ETS) est la pierre angulaire de la politique climatique européenne pour l'industrie. Il fixe un plafond global d'émissions pour les secteurs couverts, qui diminue chaque année, et permet l'échange de quotas d'émission entre les entreprises. Ce système de cap and trade crée un prix du carbone qui incite les industriels à réduire leurs émissions. Les entreprises qui dépassent leur quota doivent acheter des quotas supplémentaires, tandis que celles qui réduisent leurs émissions peuvent vendre leurs quotas excédentaires. Le prix du carbone sur le marché EU ETS a fortement augmenté ces dernières années, renforçant le signal-prix en faveur de la décarbonation.

Mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (CBAM)

Pour éviter les fuites de carbone et préserver la compétitivité de l'industrie européenne, l'UE met en place un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (CBAM). Ce dispositif vise à appliquer un prix du carbone équivalent aux importations de produits intensifs en CO2 comme l'acier, le ciment ou les engrais. Le CBAM doit entrer en vigueur progressivement à partir de 2026, avec une période de transition. Il permettra de créer des conditions de concurrence équitables entre les producteurs européens soumis à l'EU ETS et leurs concurrents étrangers, tout en incitant ces derniers à réduire l'intensité carbone de leur production.

Contrats carbone pour différence (CCfD)

Les contrats carbone pour différence (CCfD) sont un nouvel instrument de soutien public visant à encourager les investissements dans les technologies de décarbonation de l'industrie. Ils garantissent aux industriels un prix du carbone stable et suffisamment élevé pour rentabiliser leurs investissements bas carbone. Le principe est le suivant : l'État s'engage à verser à l'industriel la différence entre le prix du carbone sur le marché EU ETS et un prix de référence fixé dans le contrat. Si le prix du marché dépasse le prix de référence, c'est l'industriel qui reverse la différence à l'État. Ce mécanisme permet de réduire le risque lié à la volatilité du prix du carbone et d'accélérer le déploiement de technologies innovantes. Plusieurs pays européens comme l'Allemagne ou les Pays-Bas ont déjà mis en place des dispositifs de CCfD, et la Commission européenne prévoit d'en faire un outil central de sa stratégie industrielle bas carbone.

Défis techniques et économiques de la décarbonation

La décarbonation de l'industrie soulève de nombreux défis techniques et économiques. L'un des principaux obstacles est le coût élevé des technologies bas carbone par rapport aux procédés conventionnels. Les investissements nécessaires pour transformer en profondeur les outils industriels sont considérables, avec des périodes de retour sur investissement souvent longues. La disponibilité et le coût de l'électricité bas carbone en grande quantité est un autre enjeu majeur, notamment pour l'électrification des procédés et la production d'hydrogène vert. Le développement des énergies renouvelables et le renforcement des réseaux électriques devront aller de pair avec la décarbonation de l'industrie. Les contraintes techniques liées à l'intégration de nouvelles technologies dans des sites industriels existants sont également importantes. La décarbonation nécessite souvent une refonte complète des procédés, ce qui peut poser des problèmes de continuité de production. La formation des équipes aux nouvelles technologies et l'adaptation des compétences sont aussi des enjeux cruciaux. Par ailleurs, certaines industries font face à des limites thermodynamiques qui rendent difficile une décarbonation complète. C'est le cas par exemple de la production de ciment, où une partie des émissions est intrinsèquement liée à la réaction chimique de décarbonatation du calcaire. Dans ces cas, le recours à des technologies de capture et stockage du carbone semble incontournable, mais soulève des questions de faisabilité technique et d'acceptabilité sociale. Enfin, la décarbonation pose la question de l'approvisionnement en matières premières critiques nécessaires aux technologies bas carbone. L'électrification massive et le déploiement des énergies renouvelables vont par exemple accroître fortement la demande en métaux comme le cuivre, le lithium ou les terres rares. La sécurisation de ces approvisionnements et le développement du recyclage seront essentiels pour éviter de nouvelles dépendances.

Stratégies d'entreprises pour atteindre la neutralité carbone

Face à l'urgence climatique et aux pressions réglementaires croissantes, de nombreuses entreprises industrielles se sont engagées sur la voie de la neutralité carbone. Ces engagements se traduisent par la mise en place de stratégies ambitieuses de décarbonation à moyen et long terme.

Feuilles de route sectorielles (ex: ArcelorMittal, LafargeHolcim)

Les grands groupes industriels ont élaboré des feuilles de route détaillées pour réduire drastiquement leurs émissions de CO2 d'ici 2050. ArcelorMittal, leader mondial de la sidérurgie, s'est par exemple engagé à atteindre la neutralité carbone en Europe d'ici 2050 et à réduire ses émissions de 30% d'ici 2030. Sa stratégie repose sur plusieurs piliers :

  • Le développement de la filière DRI-EAF (réduction directe du fer et four à arc électrique) à l'hydrogène
  • L'intégration progressive de ferrailles recyclées dans la production d'acier
  • La capture et l'utilisation du carbone sur les sites existants
  • L'utilisation accrue de biomasse comme combustible

De son côté, LafargeHolcim, géant du ciment, vise une réduction de 20% de l'intensité carbone de ses produits d'ici 2030. Sa feuille de route s'articule autour de quatre axes :

  • L'optimisation du mix de combustibles avec un recours accru aux déchets et à la biomasse
  • La réduction de la teneur en clinker des ciments
  • L'amélioration de l'efficacité énergétique des procédés
  • Le développement de technologies de capture et stockage du carbone

Ces feuilles de route sectorielles permettent d'aligner l'ensemble des activités des entreprises avec leurs objectifs de décarbonation et de donner de la visibilité aux parties prenantes sur leur trajectoire.

Investissements dans la R&D et les démonstrateurs industriels

Pour concrétiser leurs ambitions de décarbonation, les industriels investissent massivement dans la recherche et développement de technologies bas carbone. Ces efforts de R&D portent à la fois sur l'amélioration incrémentale des procédés existants et sur le développement de technologies de rupture.

De nombreux démonstrateurs industriels sont mis en place pour tester à grande échelle ces nouvelles technologies avant leur déploiement. On peut citer par exemple :

  • Le projet H2FUTURE en Autriche, qui teste la production d'hydrogène vert par électrolyse pour la sidérurgie
  • Le projet LEILAC aux Pays-Bas, qui expérimente une nouvelle technologie de capture du CO2 pour l'industrie cimentière
  • Le projet Carbon2Chem en Allemagne, qui vise à valoriser les gaz sidérurgiques pour produire des produits chimiques

Ces projets pilotes permettent de lever les verrous technologiques, d'optimiser les procédés et d'évaluer leur viabilité économique en conditions réelles. Ils jouent un rôle crucial dans l'accélération de la transition bas carbone de l'industrie.

Partenariats public-privé et consortiums technologiques

La décarbonation de l'industrie nécessite une collaboration étroite entre acteurs publics et privés. De nombreux partenariats public-privé se mettent en place pour mutualiser les efforts de R&D, partager les risques et accélérer le déploiement des technologies bas carbone.

Au niveau européen, on peut citer l'exemple du Clean Steel Partnership, qui réunit sidérurgistes, équipementiers, centres de recherche et pouvoirs publics autour d'un programme ambitieux de décarbonation de l'acier. Doté d'un budget de plus de 2 milliards d'euros sur 7 ans, il vise à démontrer des technologies permettant de réduire les émissions de CO2 de 80 à 95% d'ici 2050. Des consortiums technologiques se forment également entre industriels pour mutualiser les investissements et partager les connaissances. C'est le cas par exemple du consortium Northern Lights en Norvège, qui réunit Equinor, Shell et Total autour d'un projet de captage et stockage du CO2 à grande échelle dans le sous-sol de la mer du Nord. Ces collaborations permettent de créer des synergies entre acteurs de la chaîne de valeur et d'accélérer la mise sur le marché de solutions innovantes. Elles jouent un rôle clé dans la structuration de nouvelles filières industrielles bas carbone.

La décarbonation de l'industrie est un défi collectif qui nécessite la mobilisation de l'ensemble des parties prenantes : industriels, pouvoirs publics, chercheurs, financeurs. C'est aussi une opportunité de réinventer nos modèles industriels pour les rendre plus durables et compétitifs.

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